Parmi les droits fondamentaux de la Convention, dont la Cour européenne des droits de l’Homme est chargée d’assurer le respect, le droit au procès équitable et au recours effectif est sans doute l’un des plus important et des plus complexe. L’article 6 de la Convention européenne prévoit ainsi que :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
Dans notre affaire, un parlementaire turc avait saisi la Cour, le 8 février 2005, dans une requête dirigée à l’encontre de la République de Turquie. Il mettait notamment en avant que le refus qui lui avait été opposé de lever son immunité parlementaire faisait obstacle aux poursuites pénales devant être diligentées contre lui – pour deux affaires d’insultes proférées lorsqu’il était avocat et avant de devenir député – et le prive ainsi de son droit à un procès équitable conformément au paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention. Pour la Cour, « dans son mémoire, [le requérant souligne] que l’immunité législative n’avait pas été instaurée pour assurer l’irresponsabilité et l’impunité des membres du Parlement, mais pour leur permettre d’exercer leur mission librement, sans crainte et en toute indépendance. Il soutient ainsi que, contrairement à l’irresponsabilité, l’inviolabilité était un privilège par nature relatif et temporaire ». La question du respect du droit au procès équitable des parlementaires, notamment le droit à un procès dans un laps de temps qui ne soit pas anormalement long, apparait finalement incontournable lorsqu’elle s’articule au « privilège » de l’immunité dont ces derniers bénéficient généralement. Dans une décision du 8 juillet 2008, une des chambres de la deuxième section de la Cour conclut, par quatre voix contre trois à la violation des dispositions invoquées. Le Gouvernement turc conteste cette solution quelques semaines plus tard et l’affaire est finalement renvoyée, en date du 1er décembre 2008, à la Grande chambre de la CEDH. Contrairement au premier arrêt de la chambre (CEDH, 8 juill. 2008, Kart c/ Turquie, n° 8917/05), la Grande chambre estime que l'impossibilité – pour un député poursuivi pénalement – de renoncer à son immunité parlementaire n'emporte pas violation du « droit à un tribunal » dans le cadre de l’article 6.
La Grande chambre ne manque pas de rappeler la portée très hétérogène de l’immunité parlementaire dans les États membres, ce qui complexifie la décision de la CEDH dans cette affaire (I). Elle précise également les justifications juridiques de l’impossibilité de renoncer à l’immunité (II).
- I - La portée complexe et très hétérogène de l’immunité parlementaire en Europe
- A - L’immunité parlementaire dans le droit turc
- B - L’exemple d’autres États membres
- II - Les raisons justifiant l’impossible renoncement à l’immunité parlementaire
- A - L’absence de préjudice pour le parlementaire requérant
- B - L’absence d’atteinte à la substance même des droits garantis par l’article 6
- CEDH, 3 décembre 2009, Aff. Kart. c/ Turquie, n° 8917/05