Certaines affaires judiciaires relèvent des sagas. Ce qu’elles nous disent des évolutions de la société et des mœurs est extrêmement révélateur. Face à elles, le droit ne peut rester insensible. Il s’adapte et offre, sur le plan de la stricte technique juridique, des avancées majeures. Les affaires commentées ci-après en témoignent. La question de la « cristallisation » des pensions des anciens militaires français des colonies a longtemps constitué un point de crispation. Le Conseil constitutionnel avait rendu sa première décision QPC sur ce problème. C’est à l’occasion d’un litige subséquent qu’a été rendu l’arrêt CE, Ass, 13 mai 2011, Mme M’Rida. Le Conseil d’État a publié, le même jour, deux autres arrêts, respectivement Mme Delannoy et M. Verzele (req. n°317808) et Mme Lazare(req. n°329290). Ils font suite aux décisions du Conseil constitutionnel, qui avait été saisi de contestations contre la loi du 4 mars 2002. Cette dernière était revenue sur l’arrêt Perruche de la Cour de cassation (C.Cass, Ass., 17 novembre 2000. La loi avait posé le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloird'un préjudicedu seul fait de sa naissance »). Ces contestations avaient donné lieu à la deuxième décision QPC.
En 2006, Mme M’Rida avait introduit un recours demandant l’annulation du jugement du tribunal administratif de Poitiers ayant rejeté sa demande d’annulation de la décision du Ministre de la Défense lui refusant l’attribution d’une pension de réversion. Son époux décédé avait servi, entre 1938 et 1953 dans les forces militaires françaises au sein des contingents coloniaux. La « cristallisation » évoque le principe établi par l’article 71 de la Loi de finances pour 1960, selon lequel le montant des pensions versées aux anciens militaires des colonies est bloqué à leur niveau de 1960. Ce procédé créait, de façon évidente, une rupture d’égalité entre les militaires français et ceux des outre-mer, alors même qu’ils avaient exercé les mêmes fonctions (CE, 30 novembre 2001, Ministre de la Défense). Les deux autres décisions relèvent du contentieux de la responsabilité pour faute des établissements hospitaliers publics. À l’origine de l’arrêt Mme Delannoyse trouve le recours engagé, en 1999, par les parents d’enfants nés trisomiques. S’agissant de l’arrêt Mme Lazare, il s’agissait d’un enfant né atteint de la maladie de Duchenne.
Toute la problématique des arrêts commentés réside dans l’articulation du dialogue des juges et les conséquences que doit tirer le juge administratif des décisions QPC du Conseil constitutionnel. Dans sa toute première décision QPC, ce dernier avait prononcé l’abrogation de la disposition législative litigieuse, mais avait laissé au législateur un délai pour adopter de nouvelles dispositions. Le Conseil d’État pose les règles d’articulation de son contrôle avec celui du Conseil constitutionnel. Il tire ainsi toutes les conséquences de la décision d’inconstitutionnalité, qui complètent la nouvelle architecture du dialogue des juges. L’intérêt de ces affaires avait justifié que soit saisie l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État. Les trois décisions proposent au Conseil d’État un large panel de situations différentes. Dans certaines, le requérant est l’auteur de la QPC, alors que dans d’autres, non. Dans deux d’entre elles, la décision du Conseil constitutionnel intervient en cassation et dans la troisième, en appel. Dans la première décision QPC, le Conseil constitutionnel avait modulé dans le temps les effets de son abrogation contentieuse, mais pas dans la deuxième.
Le cadre que pose le Conseil d’État vise à protéger les prérogatives du Conseil constitutionnel (I), tout en assurant l’effectivité du contrôle du juge administratif (II).
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I - Le respect de la compétence du Conseil constitutionnel
- A - La structure du contentieux de la constitutionnalité des lois
- B - L’exigence de l’article 62 de la Constitution
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II - L’effectivité de l’office du juge administratif après QPC
- A - La préservation de l’autorité des décisions QPC dans la conduite du procès.
- B - Une articulation mesurée des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité
- CE, ass., 13/05/2011, Mme M’Rida
- CE, ass., 13/05/2011, Mme Delannoy et M. Verzele
- CE, ass., 13/05/2011 Mme Lazare