Le respect de la personne humaine est, probablement, l’une des valeurs les plus essentielles aux yeux des sociétés contemporaines. Il n’est donc pas surprenant que le droit s’en soit saisi, que ce soit par voie législative ou par voie jurisprudentielle (par exemple : consécration du respect de la dignité de la personne humaine par l’arrêt CE, ass., 27/10/1995, Commune de Morsang-sur-Orge). L’arrêt Milhaud du 2/07/1993 est, ici, l’occasion pour le Conseil d’Etat d’ouvrir à cette valeur les portes de son œuvre la plus noble : celle des principes généraux du droit.
En l’espèce, le docteur Milhaud a pratiqué des expériences scientifiques sur l’un de ses patients dont le décès avait été médicalement constaté, sans disposer du consentement de l’intéressé ou de ses proches. Informé de cela, le Conseil régional de l’ordre des médecins de Picardie lui a infligé un blâme par une décision du 14/06/1988. L’intéressé a contesté cette sanction devant la section disciplinaire du Conseil national de l’ordre des médecins qui a, le 23/01/1991, confirmé la décision prise par sa branche régionale. Le docteur Milhaud a, donc, saisi le Conseil d’Etat. Celui-ci a, par un arrêt d’assemblée du 2/07/1993, confirmé la position prise par l’instance médicale.
Pour trancher le litige, le Conseil d’Etat a, d’abord, écarté le grief tenant au caractère non public de l’audience disciplinaire. Puis, il a confirmé la sanction prise à l’encontre du docteur Milhaud, mais en fondant sa solution sur une autre base légale. Les instances disciplinaires avaient, en effet, retenu comme motif la violation du Code de déontologie médicale. Or, ce texte ne s’applique aux relations des médecins avec leurs patients que tant que ces derniers sont en vie. En l’espèce, le patient était décédé et aucune disposition textuelle ne venait encadrer cette situation. Le Conseil d’Etat était, donc, juridiquement désarmé, tout en étant confronté à un comportement choquant aux yeux d’une société qui fait du respect dû aux morts une composante fondamentale du respect de la personne humaine. Vide juridique et volonté de défendre une valeur regardée comme essentielle : étaient, ici, réunies les deux conditions qui, traditionnellement, poussent le juge administratif à dégager de nouveaux principes généraux du droit. Le Conseil d’Etat a, donc, saisi l’occasion qui lui était donnée pour consacrer les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine qui régissent les relations des médecins avec leurs patient et considéré que ceux-ci s’appliquent même après la mort. Il en a, ensuite, déduit un ensemble de règles permettant d’encadrer les expérimentations menées par les médecins sur leurs patients décédés et jugé que, en l’espèce, ces conditions n’étaient pas remplies. Et, c’est en substituant ce nouveau motif au motif initial erroné qu’il a pu juger justifiée la sanction prise à l’encontre du docteur Milhaud.
Il convient donc d’’étudier, dans une première partie, le respect dû aux morts en tant qu’il constitue une valeur fondamentale (I) et d’analyser, dans une seconde partie, la reconnaissance des principes déontologiques fondamentaux applicables en matière médicale, même après la mort (II).
-
I – Le respect dû aux morts : une valeur fondamentale
- A – Une composante du respect de la personne humaine
- B – Une valeur non protégée en matière médicale
-
II – Les principes déontologiques fondamentaux : une application au-delà de la mort
- A – Des principes généraux du droit malgré tout
- B – Des principes qui interdisent toute expérimentation non consentie sur les dépouilles
- CE, ass., 02/07/1993, Milhaud