L’accouchement sous X soulève, selon Jean Carbonnier, la question du « secret de la maternité, non pas de la naissance » (Droit civil. T.1, PUF, Quadrige Manuels, 2e éd., 2017, spé. p. 397, no 205). Ce secret concerne surtout l’enfant, privé de l’identité de sa mère (v. CEDH, 30 janv. 2024, n° 18843/20, Cherrier c/ France), mais il affecte aussi le père, pour qui la naissance peut être dissimulée. L’arrêt étudié du 11 septembre 2024 interroge les droits de ce dernier à l’égard de l’enfant.

En l’espèce, une enfant née sous X en octobre 2016 est déclarée pupille de l’État deux mois plus tard. Placée en janvier 2017, elle rejoint un foyer adoptif en février, avant qu’une demande d’adoption plénière soit déposée en mai. En juin 2017, un homme, désigné comme le « père de naissance » par la Cour de cassation, reconnaît l’enfant. Cette circonstance pousse les juges de première instance à rejeter la demande d’adoption plénière. La cour d’appel de Riom infirme ce jugement, jugeant irrecevable l’action du père de naissance faute de qualité à agir. La Cour de cassation casse cette décision le 27 janvier 2021, estimant que la cour aurait dû vérifier si cette irrecevabilité portait une atteinte disproportionnée aux droits du père de naissance. La cour d’appel de Lyon, saisie par renvoi, confirme l’irrecevabilité, cette fois après un contrôle de proportionnalité.

Le requérant forme un pourvoi contre cette décision. Il reproche à la cour d’appel d’avoir mal apprécié l’intérêt de l’enfant, en négligeant son droit à connaître ses géniteurs, ainsi que son propre droit d’établir des liens secondaires avec l’enfant (droit de visite, hébergement). Il critique aussi l’inaction du ministère public, pourtant sollicité deux fois.

La Cour de cassation devait se pencher sur la conventionnalité de l’irrecevabilité de l’action en opposition d’un géniteur à l’adoption plénière de son enfant né dans le secret. Cette analyse l’amène, dans l’arrêt soumis à étude, à réaliser un « contrôle du contrôle » (selon la formule, désormais célèbre, du professeur Fulchiron) réalisé par la cour d’appel de Lyon, aussi bien dans son volet abstrait que dans son volet concret.

S’agissant du contrôle in abstracto, la Cour rappelle que seul un tiers ayant un lien de filiation établi et intervenant avant le placement de l’enfant a qualité pour s’opposer à l’adoption, en application des articles 352-2 du Code civil et 329 du code de procédure civile (§ 10 à 12). En l’absence d’un tel lien, l’intervention est impossible. Il y a ici ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale du père de naissance (§ 21), mais elle est justifiée par les voies offertes au père de naissance pour se voir restituer l’enfant et établir son lien de filiation (§ 14 à 19).

S’agissant du contrôle in concreto, la Cour de cassation se fonde sur la balance des intérêts effectuée par les juges d’appel (§ 22) pour estimer que le père de naissance avait pu user de ces voies légales pour établir son lien de filiation avec l’enfant. Les démarches entreprises l’avaient été soit trop tardivement, soit de manière peu diligente. Par ailleurs, compte tenu des relations affectives nouées entre adoptée et adoptants et de l’importance pour l’enfant de ne pas subir une autre rupture de son lien maternel, la Cour confirme que l’irrecevabilité de l’action du père de naissance ne porte pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.

Si l’arrêt étudié met fin à un contentieux long de près de huit ans, il laisse subsister des incertitudes sur sa portée. La justification pédagogique de la conformité abstraite de l’irrecevabilité de l’action du père de naissance (I), conjuguée à un contrôle concret tributaire des faits de l’espèce (II), montre que le débat est loin d’être clos.

  • I - La conventionnalité in abstracto de l’irrecevabilité de l’intervention du père de naissance à la procédure d’adoption de l’enfant né sous le secret
    • A - Le rappel des options offertes au père de naissance aux fins d’identifier l’enfant né sous le secret
    • B - L’impossibilité d’une intervention du père de naissance après le placement de l’enfant
  • II - La conventionnalité in concreto de l’irrecevabilité de l’intervention du père de naissance à la procédure d’adoption de l’enfant né sous le secret
    • A - Les occasions manquées du père de naissance à faire valoir ses droits
    • B - La primauté donnée à l’intérêt de l’enfant né dans le secret
  • Cass., Civ. 1re, 11 sept. 2024, n° 22-14.490, Inédit

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