« Il faut conclure de cet état de choses que la communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants ». Cette citation issue de l’arrêt NV Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos contre Administration fiscale néerlandaise, dit Van Gend en Loos, du 5 février 1963 montre bien les fondements de l’effet direct du droit de l’Union : les ressortissants des États membres sont directement sujets de droit européens, sans nécessiter que l’État dont ils sont citoyens transpose ce droit dans son ordre juridique national.

L’effet direct est un principe fondamental du droit de l’Union selon lequel les règles européennes peuvent être invoquées directement par les particuliers devant les juridictions nationales, sans nécessité de transposition en droit interne. Ce principe a été affirmé par la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) dès 1963 dans l’arrêt Van Gend en Loos, qui établit que le droit de l’Union crée des droits et obligations pour les États membres ainsi que pour les particuliers. L’effet direct peut être vertical, lorsque la norme européenne est invoquée à l’encontre de l’État, ou horizontal, lorsque son application concerne des relations entre particuliers. Les directives, bien que contraignantes quant à l’objectif à atteindre, laissent aux États une marge de manœuvre pour déterminer les moyens de mise en œuvre. Contrairement aux règlements, elles nécessitent une transposition en droit national pour produire pleinement leurs effets. Toutefois, sous certaines conditions, la CJUE a admis que les directives non transposées pouvaient avoir un effet direct vertical si leurs dispositions étaient suffisamment précises et inconditionnelles. L’arrêt Perreux, rendu par le Conseil d’État le 30 octobre 2009, marque une évolution importante en matière d’effet direct des directives en France, en reconnaissant aux particuliers la possibilité d’invoquer une directive non transposée contre l’administration.

Avant l’arrêt Perreux, la position du Conseil d’État en matière d’effet direct des directives était historiquement marquée par une grande prudence. Dans son arrêt Cohn-Bendit (1978), il considérait que les directives ne pouvaient pas être invoquées directement par les particuliers contre des décisions administratives, car elles ne créaient pas de droits individuels tant qu’elles n’étaient pas transposées. Cette position contrastait avec la jurisprudence de la CJUE, qui avait reconnu dès 1974, avec l’arrêt Van Duyn, la possibilité pour un particulier d’invoquer une directive non transposée contre l’État. Cependant, la jurisprudence française a connu une évolution plus progressive. Dans l’arrêt Tête, en 1998, le Conseil d’État a admis qu’une directive non transposée pouvait être invoquée pour contester un acte réglementaire contraire aux objectifs qu’elle poursuivait. De même, dans l’arrêt Arcelor (2007), il a reconnu une priorité du droit de l’Union en matière de contrôle de constitutionnalité des actes administratifs dérivés du droit européen. Ces évolutions ont préparé le terrain à l’arrêt Perreux, qui marque un alignement du Conseil d’État sur la jurisprudence de la CJUE en matière d’effet direct des directives.

Au vu de ces éléments, il conviendra de se demander dans le cadre de la présente dissertation dans quelle mesure l’arrêt Perreux a-t-il renforcé l’effectivité de l’effet direct des directives en droit français et permis une meilleure articulation entre le droit de l’Union et le droit national ?

Afin de répondre à cette problématique, dans un premier temps, nous verrons comment l’arrêt Perreux marque une consécration de l’effet direct des directives (I), avant d’analyser plus avant les implications juridiques de cette évolution jurisprudentielle (II).

  • I - L’arrêt Perreux : une consécration de l’effet direct des directives en droit français
    • A - Un arrêt constituant une rupture avec la jurisprudence antérieure du Conseil d’État
    • B - L’affirmation du principe de l’effet direct des directives en droit administratif
  • II - Une reconnaissance d’un effet direct des directives européennes aux implications juridiques profondes et aux limites conséquentes
    • A - Un effet direct limité par les termes de l’arrêt Perreux
    • B - Un arrêt aux implications importantes pour l’application du droit de l’Union en France

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