Certains bouleversements qui affectent le droit administratif sont le fait de décisions solitaires. D’autres, au contraire, sont le fruit de décisions, non moins majeures, qui, comme nouées par un lien de parenté, conjuguent leurs effets pour proposer au justiciable un nouveau paysage juridique. C’est ce qu’il est advenu dans le domaine du contentieux contractuel à partir de la seconde moitié des années 2000. L’arrêt Ministre de l’Intérieur constitue l’une des étapes de ce mouvement.

Dans cette affaire, la commission d’appel d’offres et le conseil d’administration de la régie du Syndicat intercommunal d’assainissement du Nord (SIAN) a, le 28/04/2008, attribué quatre marchés relatifs à l’assainissement de certaines villes dont ledit groupement a la charge. Le même jour, le conseil d’administration de cette régie a autorisé son directeur à les signer. Ces contrats ont été signés, transmis et reçus dans les services des préfectures du Nord et du Pas-de-Calais le 05/06/2008. Le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord, a demandé, sans succès, à la régie du SIAN le retrait de ces marchés. Il a, alors, saisi d’un déféré le Tribunal administratif de Lille afin de faire annuler ces quatre contrats. Le 05/05/2009, celui-ci a rejeté le déféré. Un appel a été intenté devant la Cour administrative d’appel de Douai qui l’a également rejeté le 17/02/2011. Le ministre de l’Intérieur se pourvoit donc en cassation devant le Conseil d’Etat : par un arrêt du 23/12/2011, la Haute juridiction annule ces marchés au motif que la commission d’appel d’offres et le conseil d’administration de la régie n’avaient pas compétence pour prendre ces décisions. Le juge administratif suprême décide, cependant, que cette annulation ne prendra effet qu’à l’expiration d’un délai de trois mois, au cours duquel les autorités de la régie peuvent régulariser les décisions litigieuses.

Telle est la nouveauté apportée par la décision Ministre de l’Intérieur. Là, où, par le passé, le juge, saisi d’un déféré préfectoral contre un contrat administratif, ne pouvait que rejeter le recours ou prononcer l’annulation du contrat, le Conseil d’Etat lui reconnaît, désormais, une large palette de pouvoirs allant de la poursuite du contrat, avec éventuelle régularisation, à l’annulation, totale ou partielle, en passant par la résiliation. Cette solution rompt avec l’approche traditionnelle qui voyait dans le déféré préfectoral un recours pour excès de pouvoir, une solution qui pouvait se justifier, hier, du fait que le déféré préfectoral, institué par la loi du 02/03/1982, vise à permettre au représentant de l’Etat d’assurer le contrôle de légalité des actes des collectivités locales. Mais, depuis la seconde moitié des années 2000, le contentieux contractuel a connu de profonds bouleversements : les pouvoirs du juge du contrat se sont considérablement élargis et les tiers (qualité que présente le préfet) se sont vus reconnaître la possibilité de contester la validité d’un contrat administratif. Il était donc opportun que le Conseil d’Etat applique ces principes au déféré préfectoral : c’est ce qu’il fait, en l’espèce, en qualifiant ce recours de recours de pleine juridiction. La lecture de l’arrêt au regard des autres solutions rendues en la matière atteste, cependant, du caractère sommaire du mécanisme mis en place. Aussi, lorsque le Conseil d’Etat remodèlera, en 2014, le recours offert aux tiers, il en profitera pour y inclure le déféré préfectoral proposant, ainsi, une solution globale à cette catégorie de justiciables.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, le déféré préfectoral en tant qu’il constitue, à présent, un recours de plein contentieux (I) et d’analyser, dans une seconde partie, son insertion dans le recours offert aux tiers (II).

  • I – Un recours de plein contentieux
    • A – Une cause : l’évolution de l’office du juge du contrat
    • B – Une conséquence : de larges pouvoirs reconnus au juge du contrat
  • II – Un recours incorporé au recours offert aux tiers
    • A – Des différences en lien avec le rôle particulier du préfet
    • B – Des pouvoirs du juge du contrat identiques
  • CE, 23/12/2011, Ministre de l'Intérieur c/ SIAN

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