Il est des sagas judiciaires qui occupent les tribunaux de longues années durant. Bien souvent, elles apportent à la dynamique du droit une contribution décisive. Mais rares sont celles qui produisent ces effets à ce point. L’affaire du litige entre la ville de Béziers et sa voisine de Villeneuve les Béziers aura duré presque 20 ans et aura offert à la matière du contentieux contractuel des développements majeurs. L’arrêt CE, Ass, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req. n°304802, constitue le premier volet de l’intrigue.
En 1969, plusieurs communes de l’arrondissement créèrent un Syndicat intercommunal à vocation multiple afin de créer une zone industrielle. Plusieurs établissements se sont implantées sur le territoire de Villeneuve-les-Béziers. Pour rétablir une forme d’équité, cette dernière et sa voisine ont conclu, en 1986 un contrat par lequel la première s’engageait à reverser à l’autre une partie de la taxe professionnelle qu’elle percevrait du fait de l’implantation des industries. 10 ans plus tard, en 1996, la commune de Villeneuve-les-Béziers a unilatéralement résilié le contrat au motif que les conditions de sa conclusion étaient illégales. Le fond du problème résidait en réalité dans le déséquilibre initial de la convention qui faisait profiter la ville de Béziers d’un avantage indu, selon sa voisine. La ville de Béziers a saisi le juge afin de faire se voir attribuer un dédommagement. Le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande. La Cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement pour irrégularité, mais a maintenu la solution du rejet de la demande de la ville de Béziers. Le Conseil d’État a été saisi une première fois et annulé l’arrêt de la Cour. Il a, par son arrêt CE, Ass, 29 décembre 2009, req. n°304802, imposé au juge de préserver le principe de loyauté des relations contractuelles en interdisant de considérer que la simple absence de transmission au préfet de la délibération autorisant le maire à signer le contrat n’était pas d’une gravité telle qu’elle empêche de continuer la résolution du litige sur le terrain du contrat. L’affaire a été renvoyée, sur le fond, à la Cour administrative d’appel de Marseille, autrement composée.
Le Conseil, dans une rédaction qui entend faire œuvre de pédagogie, établit un nouveau considérant de principe : « les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie », qui ouvre une nouvelle voie de droit, pour l’exercice de laquelle il définit l’office du juge : « il incombe en principe (au juge), eu égard à l' exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat », sauf les exceptions qu’il détaille.
Cette espèce démontre que, dans le contentieux contractuel, le juge se trouve face à la nécessité de concilier plusieurs objectifs : le respect de la légalité, l’intérêt général ainsi que le principe de stabilité des relations contractuelles. Face à cela, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État a innové en créant une exigence de loyauté des relations contractuelles (I), mécanisme de conciliation des différents intérêts en présence, ce qui l’autorise à remodeler l’office du juge du contrat (II).
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I - La loyauté des relations contractuelles, un nouveau principe du droit des contrats administratifs
- A - Le rôle essentiellement contentieux du principe
- B - Le contenu restrictif du principe
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II - Un office étendu du juge dans l’action en validité du contrat
- A - Une atténuation de la jurisprudence Préfet de la Côte-d’or
- B - Un office nouveau prélude à une révolution du contentieux contractuel
- CE, ass., 28/12/2009, Commune de Béziers, dit Béziers I