Il fut un temps où la question de la compétence du juge administratif ne dépendait que du lien du litige avec un service public (TC, 08/02/1873, Blanco). Cette simplicité devait, cependant, s’évaporer lorsque le juge des conflits distingua les services publics administratifs (SPA), majoritairement soumis au droit administratif et à la compétence du juge administratif, et les services publics industriels et commerciaux (SPIC), principalement soumis au droit privé et à la compétence du juge judicaire (TC, 22/01/1921, So. commerciale de l’Ouest africain, dit Bac d’Eloka). Depuis lors, se pose, sans relâche, la question des modalités d’identification de ces services. C’est cette problématique qu’aborde le Conseil d’Etat, en l’espèce, à propos du service public d’enlèvement des ordures ménagères.
Dans cette affaire, la commune de Sarre-Union a émis à l’encontre de la SARL Hofmiller un commandement de payer le montant de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères pour l’année 1984, ainsi qu’un état exécutoire concernant la même redevance au titre de 1985. La société a contesté ces décisions devant le Tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté son recours le 11/07/1989. Un appel a été interjeté devant le Cour administrative d’appel de Nancy. Cette dernière a considéré que la requête déposée par la société posait « une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Elle a donc décidé de surseoir à statuer et de transmettre l’affaire au Conseil d’Etat pour avis. Il s’agit, là, de la procédure instituée par l’article 12 de la loi du 31/12/1987 portant réforme du contentieux administratif : elle permet aux juridictions subordonnées de demander au Conseil d’Etat de se prononcer, par anticipation, sur des questions délicates et susceptibles de se poser dans de nombreux cas, sans avoir à attendre que le recours ait été porté devant lui par la voie de la cassation. Le but n’est, alors, que d’accroître l’efficacité de la justice administrative.
En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Nancy demandait au Conseil d’Etat de déterminer l’ordre de juridiction compétent pour connaître d’un litige afférent au paiement de la redevance pour enlèvement des ordures ménagères. Depuis 1974, en effet, ce service public peut être financé soit par la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, soit par ladite redevance. Cette question n’est pas sans importance, puisque l’origine des ressources d’un service public est l’une des trois conditions posées par l’arrêt Union syndicale des industries aéronautiques pour distinguer les SPA des SPIC (CE, ass., 16/11/1956, USIA). Concrètement, tout service public est présumé administratif. Cette présomption peut, cependant, être renversée et le service public regardé comme industriel et commercial si, aux points de vue de son objet, de son mode de financement et de ses modalités de fonctionnement, il ressemble à une entreprise privée. Si une seule de ces conditions fait défaut, le service demeure qualifié de SPA.
Au cas particulier, le financement par une recette de nature fiscale est un indice de la nature administrative du service. A l’inverse, lorsque les ressources proviennent d’une redevance, c’est la qualification de SPIC qui se trouve favorisée. La position adoptée par le Conseil d’Etat en l’espèce apparaît, alors, logique : la Haute juridiction décide, en effet, que lorsque le service d’enlèvement des ordures ménagères est financé par une redevance, il doit être regardé comme industriel et commercial et que, par voie de conséquence, les litiges relatifs au paiement de ladite redevance relèvent de la compétence du juge judiciaire.
Dans cet avis, la condition tenant au mode de financement se voit, ainsi, allouée un rôle déterminant (I), mais, sa lecture attentive atteste qu’elle demeure insuffisante pour emporter la qualification de SPIC (II).
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I – Le financement par une redevance, une condition déterminante
- A – Un mode de financement analogue à celui des entreprises privées
- B – Un mode de financement appliqué à l’enlèvement des ordures ménagères
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II – Le financement par une redevance, une condition insuffisante
- A – Objet et mode de fonctionnement : deux conditions toujours requises
- B – Une illustration de l’actualité de la jurisprudence USIA
- CE, avis, sect., 10/04/1992, SARL Hofmiller