La responsabilité de l’administration obéit, le plus souvent, aux règles posées par le juge administratif. Il arrive, toutefois, que le législateur vienne créer un régime dérogatoire tant du point de vue des règles applicables que du juge compétent. C’est un tel régime spécifique qui est en cause en l’espèce.
Dans cette affaire, une jeune fille, Sophie B, élève de l’école élémentaire de Tourettes-sur-Loup, a été, le 13 février 1995, pendant la pause de midi, blessée à l'œil par une bille jetée par l'un de ses camarades de classe. Les parents de la jeune Sophie ont considéré que ce dommage relevait de la loi du 5 avril 1937 qui substitue la responsabilité de l'Etat à celle des membres de l’enseignement public en cas de dommage causé à un enfant et qui attribue la compétence pour juger de tels faits aux tribunaux de l’ordre judiciaire. Ils se sont, alors, dirigés vers le tribunal de grande instance (TGI) de Grasse. Mais, ce dernier a refusé d'engager la responsabilité de l'Etat le 12 septembre 2000 et condamné in solidum les parents du garçon responsable du dommage et leur assureur, la Caisse régionale des Alpes-Maritimes Groupama, à verser des dommages et intérêts à la famille de Sophie, ainsi, d'ailleurs, qu'une somme d'argent à la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes. À la suite de cette décision, l'assureur Groupama a fait appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Cette dernière a, le 29 mars 2006, déjugé le TGI de Grasse et condamné in solidum l'Etat et le jeune enfant responsable du dommage. Le préfet des Alpes-Maritimes a, alors, déposé un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation. Mais, cette dernière a, le 13 septembre 2007, sursis à statuer et renvoyé l'affaire devant le Tribunal des conflits. Le rôle de cette juridiction est de trancher les conflits de compétence entre juridictions administratives et judiciaires. Il existe de multiples procédure de saisine du juge des conflits, la plus célèbre étant la procédure de conflit positif qui est entre les mains du préfet. Mais, en l’espèce, c’est la faculté offerte à une juridiction souveraine de saisir le juge des conflits, quand une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en cause la séparation des autorités administratives et judiciaires se pose, qui est utilisée. Le 30 juin 2008, le Tribunal des conflits rend sa décision en considérant que la loi du 5 avril 1937 n'est pas applicable et que l'affaire relève des juridictions administratives selon les règles ordinaires d’engagement de la responsabilité administrative.
Avec cette décision, le juge des conflits vient préciser les contours du régime de responsabilité des membres de l’enseignement public posé par la loi du 5 avril 1937. Au terme de cette loi, la responsabilité de l’Etat est, en cas d’accidents scolaires, substituée à celle des enseignants et les litiges relèvent des tribunaux de l’ordre judiciaire. La difficulté en l’espèce est que le dommage causé à Sophie B l’a été pendant la récréation, alors que les enfants étaient sous la seule surveillance de deux agents communaux. Le Tribunal des conflits devait donc déterminer si les conditions d’application de la loi de 1937 étaient remplies. Il juge en l’espèce que non et considère que c’est la responsabilité de la commune qui devra être recherchée devant le juge administratif selon les règles de droit commun.
Il convient, donc, d’analyser, dans une première partie, les causes de la difficile appréciation du cas de Sophie B (I) et d’étudier, dans une seconde partie, la solution retenue par le Tribunal des conflits en l’espèce (II).
- I – Les causes de la difficile appréciation du cas de Sophie B
- A – La responsabilité des membres de l’enseignement public : un régime aux contours incertains
- B – Les circonstances de l’affaire relative à Sophie B
- II – La solution du Tribunal des conflits : l’inapplicabilité de la loi du 5 avril 1937
- A – Le non-engagement de la responsabilité de l’Etat devant les tribunaux judiciaires
- B – Les solutions envisageables pour résoudre le cas de Sophie B
- TC, 30/06/2008, Préfet des Alpes-Maritimes c/ Caisse régionale des Alpes-Maritimes Groupama