Pendant longtemps, la responsabilité de l’Etat français n’a pas pu être engagée du fait des persécutions commises pendant le Gouvernement de Vichy. La seule façon pour les victimes d’obtenir réparation résidait dans les mécanismes spéciaux institués pour réparer leur préjudice. Mais, il n’était pas possible d’obtenir du juge administratif qu’il condamne l’Etat républicain à raison des fautes commises sous le Gouvernement de Vichy. Le juge considérait que ces actes relevaient d’un gouvernement de fait et non de l’Etat républicain. L’arrêt Papon met fin à cette fiction juridique.
Les faits sont connus. Mr. Papon a été condamné, le 2 avril 1998, par la cour d’assises de la Gironde à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crime contre l’humanité, à raison de la déportation de juin 1942 à août 1944 de plusieurs dizaines de juifs. Le lendemain, la cour d’assise, statuant au civil, condamnait Mr. Papon à verser des dommages et intérêts aux victimes. Considérant que ces faits constituent non une faute personnelle, mais une faute de service, Mr. Papon demanda, alors, au ministre de l’intérieur de prendre en charge le remboursement des dommages et intérêts. C’est le refus du ministre qui est déféré au Conseil d’Etat. Par un arrêt rendu, en assemblée, le 12 avril 2002, le Conseil d’Etat juge que, si Mr. Papon a commis une faute personnelle, il y lieu, aussi, de relever une faute de service à la charge de l’Etat et de le condamner à payer la moitié des dommages et intérêts dus par Mr. Papon aux victimes.
Cet arrêt met fin à la longue jurisprudence du Conseil d’Etat qui se refusait à reconnaître la faute de service de l’Etat. Confronté à de telles affaires, le juge estimait qu’en vertu de l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 consacrant la nullité de tous les actes du Gouvernement de Vichy établissant des discriminations fondées sur la qualité de juif, l’Etat républicain était irresponsable, la responsabilité en revenant au Gouvernement de Vichy. Avec l’arrêt Papon, le Conseil d’Etat reconnaît pleinement la responsabilité de l’Etat français en relevant, en plus de la faute personnelle de l’intéressé, une faute de service. Si le procès de Mr. Papon a souvent été qualifié de procès de l’Etat français par les journalistes , il convient de noter que c’est l’arrêt Papon le véritable procès de l’Etat français. Ce n’est que devant le Conseil d’Etat que l’Etat est juridiquement condamné. Ayant reconnu qu’une faute de service et une faute personnelle ont joint leurs effets pour créer le dommage, le Conseil d’Etat applique, ensuite, les règles classiques de la responsabilité en établissant la charge du dommage de chacun en fonction des fautes commises. C’est, ainsi, qu’il juge qu’il appartient à l’Etat de prendre à sa charge la moitié des dommages et intérêts auxquels Mr. Papon a été condamné. Il s’agit là de la jurisprudence qui permet à l’agent de demander à l’Etat de prendre à sa charge les réparations qui relèvent dune faute de service. Le mécanisme inverse existe aussi au profit de l’Etat. On parle d’action récursoire.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, l’identification d’une pluralité de fautes (I), et d’analyser, dans une seconde partie, le partage de responsabilités entre Mr. Papon et l’Etat (II).
- I – L’identification d’une pluralité de fautes
- A – L’existence d’une faute personnelle
- B – La reconnaissance d’une faute de service
- II – Le partage de responsabilités entre Mr. Papon et l’Etat
- A – Les droits de la victime
- B- Les relations entre Mr. Papon et l’Etat
- CE, ass., 12/04/2002, Mr. Papon