Pendant longtemps la jurisprudence administrative a fait preuve de beaucoup de timidité vis-à-vis de l’action de la puissance publique, notamment quant à la possibilité d’engager sa responsabilité du fait de ses fautes. L’arrêt Tomaso Grecco qui concerne les services de police marque de ce point de vue un tournant.

Dans cette affaire, un taureau s’était échappé, le 15 janvier 1901, de Souk-el-Arbas, une ville située en Tunisie. La foule s’était lancée à sa poursuite. C’est alors qu’un coup de feu fut tiré, blessant M. Tomaso Grecco à l’intérieur de sa maison. Ce dernier demanda réparation à l’Etat en alléguant que le coup de feu avait été tiré par un gendarme et que le service de police avait commis une faute en n’assurant pas l’ordre de manière à éviter de tels incidents. Le ministre de la Guerre rejeta, toutefois, cette demande par une décision du 29 avril 1902. L’affaire fut portée devant le Conseil d’Etat. Mais, la Haute juridiction ne fit pas droit à cette requête au motif qu’il n’était pas établi que le coup de feu avait été tiré par un gendarme et que cet accident ne pouvait être imputé à une faute du service de police.

Bien que le Conseil d’Etat refuse d’engager la responsabilité des services de police en l’espèce, cette solution ne doit pas tromper. En effet, la position du juge administratif suprême se justifie pour des raisons de fait, l’absence de faute. En revanche, sur le plan des principes, en vérifiant si une faute a été commise, la Haute juridiction admet la possibilité d’engager la responsabilité de la puissance publique du fait de ses fautes. Cette position tranche avec la jurisprudence antérieure basée sur le dogme de l’irresponsabilité de l’État puissance publique, notamment quant aux services de police, qui prévalait jusqu’alors. Dorénavant, la puissance publique peut être déclarée pécuniairement responsable pour les fautes de service commises par ses agents. Cette évolution sera, toutefois, limitée dans un premier temps, puisque le juge administratif exigera une faute lourde pour engager la responsabilité des services de police. Ce n’est qu’à la fin du XX° siècle qu’il amorcera un tournant en n’exigeant plus qu’une faute simple. Une position, aujourd’hui, quasi généralisée, bien qu’elle connaisse, encore, quelques limites.

Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, la possibilité d’engager la responsabilité pour faute de la puissance publique, bien que de manière initialement limitée (I), et d’analyser, dans une seconde partie, l’évolution progressiste de la jurisprudence fondée sur l’exigence d’une unique faute simple (II).

  • I – Une solution qui reconnaît la responsabilité pour faute de la puissance publique, mais de manière limitée
    • A – Une responsabilité de la puissance publique engagée pour les fautes de service commises par ses agents
    • B – Une responsabilité généralement engagée uniquement en cas de faute lourde
  • II – Une solution aujourd’hui dépassée par l’exigence d’une unique faute simple
    • A – L’exigence d’une faute simple pour engager la responsabilité des services de police
    • B – L’existence de limites à cette évolution libérale
  • CE, 10/02/1905, Tomaso Grecco

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