Dans le cadre de son action, l’Administration est soumise à un ensemble de règles que l’on appelle bloc de légalité. Composé principalement de la Constitution, de la loi et le jurisprudence au départ, ces règles se sont vues complétées par les normes du droit international. Si celui-ci se compose principalement des traités et accords internationaux, il faut aussi compter avec le droit communautaire dérivé qui correspond au droit édicté par les institutions européennes sur la base des traités communautaires. Au titre de cette dernière catégorie, l’on trouve principalement les règlements et les directives communautaires. C'est ce dernier type de règles qui est en cause dans l'affaire étudié.
En l’espèce, les sociétés Rothmans International France et Philipp Morris France demandent au Conseil d’Etat d’annuler les deux décisions implicites de rejet par lesquelles le ministre de l’économie a refusé de revaloriser le prix de vente du tabacs au 1° septembre 2003. Celui-ci fait droit à cette demande par un arrêt d’assemblée du 28 février 1992 au motif que ces deux décisions se basent sur des textes incompatibles avec la directive du 19 décembre 1972.
La solution retenue par le Conseil d’Etat appelle deux développements. Le premier concerne l’effet direct de la directive. En effet, à la différence des règlements les directives n'étaient pas, jusqu'à récemment, dotées de l’effet direct. Ainsi, la directive en cause, en l’espèce, ne devrait pas, en vertu de la jurisprudence Cohn-Bendit, s’imposer aux deux actes individuels attaqués. Il a, cependant, été admis par le Conseil d’Etat, la possibilité d’annuler un acte administratif individuel contraire à une directive dans le cas où cet acte se base sur une réglementation nationale elle-même contraire aux objectifs de la directive. Cette invocabilité de substitution de la directive trouve ici une nouvelle illustration puisqu’elle s’applique au cas de décisions individuelles prises sur le fondement d’un décret lui-même pris sur la base d’une loi. Par cet arrêt, le Conseil d’Etat reconnaît que, même non transposée, une directive s’impose pleinement aux différentes réglementations nationales qui, dès lors qu’elles ne sont pas compatibles avec les objectifs de la directive, ne peuvent plus servir de base légale aux actes administratifs individuels. Et, c’est là le deuxième apport de cet arrêt. En effet, le Conseil d’Etat poursuit l’œuvre, commencée en 1989, en matière de supériorité du droit international sur la loi française. Le juge administratif distinguait, en effet, par le passé, les lois antérieures des lois postérieures. Seules les premières étaient supérieures au droit international. Ce n’est qu’en 1989 avec l’arrêt Nicolo que le Conseil d’Etat a donné son plein effet à la règle de la supériorité des traités sur la loi française énoncée par l’article 55 de la Constitution. L’arrêt étudié est l’occasion pour le Conseil d’Etat de faire bénéficier de cette règle aux directives communautaires comme il l’a fait pour les règlements communautaires.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, l’applicabilité de la directive du 19 décembre 1972 (I), pour analyser dans une seconde partie la supériorité de ce texte sur les lois françaises (II).
- I – L’applicabilité de la directive du 19 décembre 1972
- A – La spécificité de l’applicabilité de la directive
- B – L’effet direct de substitution de la directive du 19 décembre 1972
- II – La supériorité de la directive du 19 décembre 1972
- A – Un contrôle originellement partiel : la distinction loi antérieure / loi postérieure
- B – Un contrôle pleinement établi aujourd’hui : la supériorité de la directive sur les lois mêmes postérieures
- CE, ass., 28/02/1992, SA Rothmans International France et SA Philip Morris France