Depuis l’arrêt Nicolo en 1989, le Conseil d’Etat a, à plusieurs reprises, repensé les différents aspects de son contrôle en matière de droit international. Ce mouvement s’est même accéléré ces dernières années avec notamment les jurisprudences Gardelieu, Perreux, ou encore récemment Brito Paiva. L’arrêt commenté ici poursuit ce mouvement de renouvellement, plus précisément s’agissant de l’effet direct des traités internationaux.
Dans cette affaire, était en cause une demande d’annulation du décret du 8 Septembre 2008 pris pour l’application de la loi du 5 Mars 2007 relative au droit au logement opposable. Cette loi subordonne le bénéfice dudit droit à une condition de permanence de résidence en France. Quant au décret, il distingue trois catégories d’étrangers. Estimant que ces dispositions sont contraires notamment à l’article 6-1 de la convention internationale du travail du 1° Juillet 1949, l’association GISTI – encore une fois - saisit le Conseil d’Etat pour faire annuler cette disposition. Celui-ci, par un arrêt d’assemblée du 11 Avril 2012, fait droit à cette demande, non sans avoir renouvelé en profondeur la notion d’effet direct.
Ainsi, au-delà de la solution d’espèce qui, même si elle comporte d’indéniables intérêts, ne sera pas analysée, le Conseil d’Etat précise et élargie la notion d’effet direct dans un sens libéral. Jusque là, faute d’une théorisation suffisante de la part du Conseil d’Etat, il fallait s’en tenir aux solutions d’espèce pour déterminer les critères permettant d’apprécier si un traité international était doté de l’effet direct. Globalement, c’était le cas en cas de création de droits ou d’obligations au profit ou à la charge des particuliers. Pour déterminer si tel était le cas, le juge utilisait deux critères principaux : ainsi, il fallait que le traité ne crée pas seulement des obligations entre les Etats et qu’il ne nécessite pas l’édiction de mesures nationales d’application. Deux critères secondaires étaient aussi retenus : ceux relatifs aux aspects rédactionnel et normatif du traité. Le juge reprend les deux critères dominants pour en faire les seuls critères admis pour conférer ou non un effet direct à un traité. Quant à la dimension libérale de cette nouvelle position, elle s’observe à deux points de vue : d’une part, les deux uniques critères sont assouplis, d’autre part les deux critères secondaires sont relégués au rang de simples indices, autant de considérations qui sont de nature à reconnaitre un effet direct à plus de conventions internationales. Si l’arrêt est, sur ces points, novateurs, il maintient, en revanche, l’orthodoxie jurisprudentielle en matière de superposition entre effet direct et invocabilité : en d’autres termes, pour être invocable, un traité doit être doté de l’effet direct, et ce quelle que soit la disposition litigieuse en cause ; il n’y a donc pas à distinguer entre acte règlementaire et acte administratif individuel, comme a pu le faire, par le passé, le Conseil d’Etat en matière de directives communautaires.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, le renouvellement de la notion d’effet direct (I), puis d’analyser, dans une seconde partie, la portée inchangée de l’effet direct d’une convention internationale (II).
- I – La notion d’effet direct en 2012 : une notion précisée et élargie
- A – Des critères traditionnellement dominants, consacrés et assouplis
- B - Des critères traditionnellement secondaires ramenés au rang de simples indices
- II – La portée de l’effet direct en 2012 : le maintien de la superposition classique entre effet direct et invocabilité
- A – Des arguments en faveur du découplage entre effet direct et invocabilité
- B – La solution d’Avril 2012 : le statu quo jurisprudentiel
- CE, ass., 11/04/2012, GISTI