Il peut sembler anachronique d’étudier la question des fiançailles, à une époque où le nombre de mariages décroît, talonné par le nombre de pactes civils de solidarité. Mais plus de 200 00 mariages sont célébrés chaque année en France, laissant présumer la survivance des promesses de mariage et en conséquence des difficultés qu’elles génèrent. C’est l’enjeu de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 4 janvier 1995. Il rappelle que pour ouvrir droit à réparation, la preuve doit être rapportée du caractère fautif de la rupture des fiançailles.

Les faits de l’arrêt étudié concernent deux personnes unies par une promesse de mariage. Toutefois, les fiançailles sont rompues et l’union matrimoniale n’est jamais célébrée.

La fiancée éconduite assigne le juge aux fins de condamner son ancien promis au paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, en raison de la rupture abusive des fiançailles. Le litige est porté jusqu’à la cour d’appel de Nancy.

Dans un arrêt en date du 18 septembre 1992, les juges lorrains accueillent la prétention de la demanderesse. Ils se fondent sur la brutalité de la rupture, qui est suffisante pour constituer une faute et donc engager la responsabilité de l’ex-fiancé. Par conséquent, ce dernier est condamné à réparer le préjudice moral subi.

L’ex-fiancé forme un pourvoi devant la Cour de cassation, au motif essentiel que la cour d’appel a ici improprement constaté l’existence d’une faute de sa part.

La Cour de cassation était ainsi saisie d’une question en apparence factuelle : la rupture est-elle en l’espèce suffisamment brutale pour caractériser une faute et donc entraîner l’octroi de dommages et intérêts au profit de la fiancée éconduite ?

Les juges de cassation profitent de cette saisine pour généraliser le problème posé : la rupture des fiançailles entraîne-t-elle automatiquement l’engagement de la responsabilité de l’auteur de la rupture et le versement de dommages-intérêts ? Ou est-ce que la rupture est insuffisante per se et suppose d’y ajouter une faute autonome ?

La première chambre civile de la Cour de cassation tranche au profit de la seconde voie. Au visa de l’ancien article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil, depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations), la Cour énonce, dans un attendu de principe, que « la rupture d'une promesse de mariage n'est pas, à elle seule, génératrice de dommages-intérêts, lesquels ne peuvent être accueillis que s'il vient s'y ajouter une faute en raison des circonstances ». Or, en l’espèce, la cour d’appel a caractérisé une faute engageant la responsabilité de l’ex-fiancé, alors même qu’elle relevait que la rupture avait été envisagée par les deux fiancés, en raison d’une mésentente entre eux. La rupture ne pouvait donc pas être qualifiée de brutale. Il demeurait seulement que l’ex-fiancé n’avait pas averti sa compagne de sa volonté de rompre les fiançailles. Pour la Cour de cassation, cette absence de « dialogue préalable » n’est pas suffisante pour caractériser une faute et ouvrir droit à réparation. La cour d’appel a donc violé l’ancien article 1382 du code civil et voit sa décision cassée.

Classiquement, la Cour de cassation raisonne de manière binaire, afin de répondre aux deux questions posées par le litige. Elle rappelle d’abord que la responsabilité est engagée en cas de rupture fautive des fiançailles (I). Elle met ensuite l’accent sur le régime de cette responsabilité (II).

  • I – L’existence d’une responsabilité extracontractuelle pour rupture fautive des fiançailles
    • A - Le rappel implicite du principe de la liberté matrimoniale
    • B - L’exception tenant à la rupture fautive
  • II – Le régime de la responsabilité extracontractuelle pour rupture fautive des fiançailles
    • A - L’appréciation de la faute de l’auteur de la rupture
    • B - Les conséquences de l’engagement de la responsabilité de l’auteur de la rupture
  • Cass., Civ. 1re, 4 janvier 1995, n° 92-21.767

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