La possibilité d’engager la responsabilité de l’administration pour ses fautes a, longtemps, été conditionnée par la commission d’une faute lourde, c’est-à-dire d’une faute présentant un haut degré de gravité. Il en allait ainsi, notamment, pour les services régaliens, tels que les services de police, le service public pénitentiaire ou, encore, les services de l’administration fiscale. Cette exigence a, toutefois, été, progressivement, abandonnée pour la plupart des activités administratives, le juge se contentant, désormais, d’une faute simple. C’est ce que le Conseil d’Etat décide, en l’espèce, en ce qui concerne les services fiscaux.
Dans cette affaire, la société de travaux publics GEK, dont M. Krupa était le cogérant, a fait l’objet d’une procédure de vérification de comptabilité. Dans le cadre de ce contrôle, l’administration fiscale a adressé à M. Krupa un courrier visant à obtenir les noms des bénéficiaires des sommes distribuées et non déclarées par la société. En l’absence de réponse de sa part, M. Krupa a été tenu solidairement responsable, avec la société, du paiement d’une pénalité de 583 831 €. L’intéressé a contesté cette dernière devant le tribunal administratif de Strasbourg qui a, par un jugement du 16 mars 1989, rejeté son recours. La même solution a été rendue en appel par la cour administrative d'appel de Nancy le 10 octobre 1991. M. Krupa s’est, donc, pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat qui a, par une décision du 6 novembre 1995, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy et renvoyé à cette dernière la requête de M. Krupa. Par un arrêt du 30 avril 1998, les juges d’appel de Nancy ont, alors, déchargé M. Krupa du paiement de la pénalité en litige.
Mais, estimant avoir subi un préjudice du fait du comportement fautif de l’administration fiscale, M. Krupa a engagé une seconde procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg et la cour administrative d'appel de Nancy afin d’en obtenir réparation, sans succès toutefois. Celui-ci se pourvoit donc en cassation devant le Conseil d’Etat. Par un arrêt de section du 21 mars 2011, la Haute juridiction fait droit à sa requête et reconnaît, d’une part, que l’administration a commis une faute et, d’autre part, que M. Krupa a, de ce fait, subi un trouble dans ses conditions d’existence qu’il convient de réparer.
La formule retenue par le juge administratif suprême pour caractériser cette faute mérite, d’ores et déjà, d’être citée. En effet, celui-ci évoque une « faute … de nature à engager la responsabilité de l'Etat ». Par ces mots, le Conseil d’Etat signifie que la responsabilité de l’administration fiscale peut, désormais, être engagée sur la base d’une seule faute simple. La Haute juridiction applique ainsi à cette activité la démarche qui l’a conduit à abandonner l’exigence d’une faute lourde qui prévalait jusque-là pour nombre d’activités régaliennes. Une fois posé le principe de la faute simple et identifié cette faute, la suite du raisonnement du juge est plus classique : celui-ci s’attache à identifier le préjudice de M. Krupa et à vérifier que celui-ci trouve sa cause directe dans la faute de l’administration.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, le passage de la faute lourde à la faute simple pour engager la responsabilité de l’administration fiscale (I) et d’analyser, dans une seconde partie, le préjudice subi par M. Krupa et son lien avec la faute des services fiscaux (II).
- I – De la faute lourde à la faute simple pour engager la responsabilité de l’administration fiscale
- A – La jurisprudence Bourgeois : une limitation avortée de l’exigence d’une faute lourde
- B – La jurisprudence Krupa : l’alignement sur le principe de la faute simple
- II – Du préjudice indemnisable au lien de causalité avec la faute simple de l’administration fiscale
- A – Les contours des préjudices indemnisables en matière fiscale
- B - Le lien de causalité entre la faute simple de l’administration fiscale et les préjudices
- CE, sect., 21/03/2011, M. Krupa